Nicolas Daubanes. Contraindre le paysage

A retrouver en intégralité sur le site d’artpress.


CE N’EST PAS JOLI DE COUPER LES ARBRES !, GALERIE MAUBERT, PARIS, DU 4 AVRIL AU 11 MAI 2019.

Avant une exposition personnelle prévue au Palais de Tokyo en 2020, l’artiste marseillais Nicolas Daubanes investit la galerie Maubert. Dans le fond et la forme, il y intègre la notion de paysage à celle de révolte, première de ses revendications.

Ce n’est pas joli de couper les arbres ! Le titre de l’exposition n’est ni un cri écologique ni la citation détournée d’une indignation enfantine. Il fait référence aux mots tracés sur les murs de la prison de Saint-Maur lors d’une mutinerie en 1987. Le climat y était particulièrement tendu entre les prisonniers enfermés à perpétuité et la direction qui supprimait peu à peu toute forme d’échappatoire mental. L’un des détenus était alors monté sur un arbre, en guise de protestation, arbre aussitôt abattu, muselant ce signe de révolte.

Nicolas Daubanes a lié à cette parole sapée un travail sur le vivant. Le propos écologique, s’il n’est pas clairement revendiqué, prend la forme d’une poésie presque sociale. Depuis peu, l’artiste a entamé une collection de graines récoltées dans des lieux où la violence a fait rage, comme par exemple celles qu’il présente dans l’une des premières œuvres exposées galerie Maubert, Paysage en coupe (2019). Il y a fait germer des pousses d’eucalyptus sous une petite serre en verre sur laquelle est gravé : « On ne pouvait que les espérer, on pouvait pas les encourager, on avait pas de moyen de les protéger. » Ces pousses proviennent d’une île cimetière, traversée lors d’une résidence en Tasmanie. Sur ce sol, des forçats anglais avaient été exploités dans des conditions inhumaines et un commerce de prostitution forcée avait été établi : les soldats qui maintenaient l’ordre assouvissaient ainsi leurs pulsions sur de jeunes femmes accusées de vol, également déportées sur cette île alors sous domination anglaise. Les graines poussant sous serre font écho à l’idée de contrainte : cultiver une plante implique de forcer une végétation habituellement libre à se développer selon une base critérielle, dans un lieu de croissance imposé. À partir de ces plants glanés dans des endroits historiquement marqués par la violence humaine, l’artiste façonnera des bonsaïs, arbres on ne peut plus formatés selon le bon vouloir de l’être humain. Des éléments autobiographiques nourrissent également l’œuvre de Nicolas Daubanes : son père, qu’il a perdu très jeune, était passionné par ces formes végétales. Pourrait-il y avoir un lien entre cette fascination paternelle pour les bonsaïs et l’acte même d’éduquer ? Nicolas Daubanes s’interroge et dit toute la dualité de la contrainte, à la fois nécessaire pour le cadre qu’elle pose et répulsive du fait des empêchements qu’elle crée.

Nicolas Daubanes, Sur les toits, 2019, incrustation d’acier incandescent sur porcelaine émaillée, Ph. Aurélien Mole

SOUS CONTRAINTE

La contrainte est présente aussi bien dans les médiums employés par l’artiste – l’apparition récente de la céramique, aux effets imprévisibles, en témoigne – que dans les sujets traités. Car si est induite l’idée d’un engagement allant contre des politiques d’enfermement, l’ambivalence est toujours présente en filigrane. Ainsi, dans la nouvelle série de dessins à la poudre de fer, également exposée – Sur les toits, 2019 ; Strange fruite, after Goya, 2019 ; Strange fruite, after Jacques Callot, 2019 –, il s’est écarté de l’éphémère. L’aimant qui maintient les traits en place s’est transformé en incrustation. S’il utilise encore ce matériau qui peut évoquer les barreaux d’une prison, la poudre n’est désormais plus volatile, comme dans ces travaux précédents : elle est fixée à l’œuvre. Dialoguent alors, dans un parallèle de formes, deux manières antithétiques de travailler la révolte.

Dans 15 janvier 1972 (2018), cette dualité se lit à travers un jeu entre des citations poétiques, proches de l’impalpable, et leur impression sur un support bien concret, en l’occurrence des tuiles brutes, primitives. Nicolas Daubanes fait cette fois référence à la révolte qui a eu lieu dans la prison de Nancy le 15 janvier 1972. Les prisonniers, retranchés sur le toit, envoyaient à la presse des messages cachés entre deux pierres. Le texte se fait plastique, tout comme il l’est dans le triptyque Question préparatoire, question préalable, question définitive (2019) où les phrases, parcellaires, renvoient au questionnement de la domination intellectuelle des mots. Si forts et si beaux soient-ils, ils semblent ne pas pouvoir tout exprimer.

Les briques utilisées dans l’installation Ergonomie de la révolte (2018) rappellent, quant à elles, l’emploi de la céramique dans 15 janvier 1972. Ici, elles portent l’empreinte des ouvriers de la briqueterie de Nagen qui les ont façonnées et empoignées. Sont-elles la marque d’une main révoltée qui les enserrent, prête à lancer, ou font-elle référence aux traces indélébiles de ceux qui modèlent les choses, comme ont pu le faire Goya ou Callot, dont l’ombre demeure présente dans certains des dessins de l’artiste ?

Nicolas Daubanes, Ergonomie de la révolte, 2018-2019, briques empoignées par les ouvriers au moment de la fabrication, œuvre produite à la briqueterie de Nagen, résidence Ministère de la culture et DRAC Occitanie, Château de Jau, 2018, Ph. Aurélien Mole

Si les œuvres de Nicolas Daubanes traduisent à première vue – et effectivement – les cris insurgés de révoltes sociales, elles renvoient également aux constructions intimes de chacun, dont le corps, mais aussi l’éducation, est le premier carcan. Le regardeur, libre de prendre position dans sa réception, observera l’histoire personnelle ou l’histoire collective, qui, dans leurs évolutions, n’ont de cesse de combattre et mettre en perspective ce que peut être une condition donnée.

Sandra Barré

Publié par Sandra Barré

La tête en l'air, les yeux droit devant, le cœur accroché, la main vive, la langue déliée et l'amour de l'art, toujours.

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